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Alcool au volant : les marges d’erreur, comment ça marche ?

Alcool au volant : les marges d’erreur, comment ça marche ?

Des marges d’erreur (et non pas de tolérance) ont été prévues pour les éthylomètres de contrôle et de mesure du taux d’alcoolémie. Les explications de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit qui revient sur les évolutions jurisprudentielles en la matière.

marge d'erreur technique alcool au volant
Même avec la marge d’erreur technique, les agents risquent de sortir le carton rouge après le passage à l’éthylomètre…

Alcool au volant : des marges d’erreur prévues par arrêté

Les dispositions de l’article 15 de l’Arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres (JORF n° 166 du 20 juillet 2003, p. 12276) prévoient ainsi des marges de :

  • 0,032 mg/l pour les concentrations en alcool dans l’air inférieures à 0,400mg/l ; –
  • 8% de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l et inférieures ou égales à 2,000 mg/l ;
  • 30% de la valeur mesurée pour les concentrations supérieures à 2,000 mg/l.

On insistera tout d’abord sur le fait que lorsque l’on parle de marges d’erreur, qu’il s’agisse d’un cinémomètre pour la vitesse ou d’un éthylomètre pour l’alcool, il ne s’agit aucunement d’une tolérance accordée au conducteur.

La marge d’erreur technique permet de se prémunir contre un risque d’erreur, un certain pourcentage de résultats légèrement erronés, toléré par les pouvoirs publics au stade de l’homologation de ces appareils.

Utilisés à longueur de journées et à longueur d’années, dans des conditions pas forcément optimales, cette marge d’erreur et la vérification annuelle périodique de ces appareils constituent les seules garanties de la fiabilité de leurs mesures.

Par définition, et contrairement à une marge de tolérance, la marge d’erreur technique pourra jouer dans un sens ou dans un autre, en faveur du conducteur contrôlé comme en sa défaveur.

Ethylomètres : une marge d’erreur autrefois d’application facultative

Si en matière d’appareils de contrôle de vitesse, l’application de la marge terreur technique est rapidement devenue obligatoire, tel n’a pas été le cas pour les éthylomètres.

Pendant de très nombreuses années, les dispositions prévues par l’arrêté du 8 juillet 2003 demeuraient d’application facultative.

Avant le revirement de jurisprudence opéré en 2019, les marges d’erreur techniques n’étaient pas appliquées au stade de la verbalisation par les agents des forces de l’ordre. Si le conducteur souhaitait en bénéficier, il devait contester la verbalisation et solliciter l’application de la marge devant le tribunal de police.

Même chose côté délictuel : la marge n’était appliquée que si le prévenu en formulait la demande au moment du jugement.

Mais plus étonnant encore : que l’infraction ait constitué une contravention ou un délit, l’application de la marge d’erreur demeurait facultative pour le juge.

Ainsi, selon les juridictions, selon les magistrats, ou même selon les dossiers, les conducteurs pouvaient bénéficier ou non de l’application de cette marge.

Il n’était pas rare que les magistrats accordent le bénéfice de la marge d’erreur selon que le conducteur ait été en phase ascendante ou en phase descendante. En effet, le taux d’alcool dans le sang augmentera peu à peu. Le pic d’alcoolémie sera atteint généralement une heure après la fin de la prise d’alcool. Passé ce pic, le consommateur d’alcool sera en phase descendante.

La Cour de cassation avait par le passé rappelé, à de multiples reprises, le caractère facultatif de l’application des marges d’erreur en matière de contrôle d’alcoolémie.

Attendu que, si c’est à tort que le jugement énonce que les marges d’erreur prévues par les dispositions réglementaires visées au moyen ne peuvent s’appliquer à une mesure effectuée lors d’un contrôle d’alcoolémie, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure, dès lors que l’interprétation des mesures du taux d’alcoolémie effectuées au moyen d’un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation ;

Cass. Crim., 3 septembre 2014, n°13-88233

Application obligatoire de la marge d’erreur en matière de décision administrative

C’est le Conseil d’État, par un arrêt remarqué du 14 février 2018, qui a initié un important revirement de jurisprudence en matière de contrôle d’alcoolémie.

1) Il résulte du premier alinéa de l’article L. 224-1, du premier alinéa de l’article L. 224-2 et des I et II de l’article L. 234-1 du code de la route que la suspension du permis de conduire qu’ils prévoient ne peut être prononcée par le représentant de l’Etat dans le département qu’en cas de conduite sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d’alcool dans l’air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre. 2) Compte tenu de la tolérance admise par l’article 15 de l’arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres et du décret n° 2001-387 du 3 mai 2001, il appartient au représentant de l’Etat dans le département, lorsqu’il entend prononcer la suspension de permis de conduire prévue par l’article L. 224-2 du code de la route au titre d’une conduite sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d’alcool dans l’air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre, de s’assurer qu’il est établi que ces seuils ont été effectivement dépassés. Il lui appartient, par suite, de prendre en compte la marge d’erreur maximale tolérée en vertu de l’arrêté du 8 juillet 2003, sauf si le résultat qui lui a été communiqué mentionne que le chiffre indiqué tient déjà compte de la marge d’erreur, ou fait état d’une marge d’erreur de la technique utilisée inférieure à cette marge maximale.

CE, 14 février 2018, n° 407914

Avec cet arrêt, le Conseil d’État vient affirmer le principe du caractère obligatoire de l’application de ces marges d’erreur technique au moment de la prise de mesures administratives de suspension de permis de conduire.

“Le Conseil d’Etat nous dit ici que le préfet doit obligatoirement prendre en compte la marge d’erreur technique des éthylotests pour prononcer une suspension administrative de permis de conduire”, analyse Me le Dall. Assez méconnue, cette jurisprudence n’a pas manqué d’alerter le ministère de l’Intérieur : selon le Canard enchaîné, l’Unité de coordination de la lutte contre l’insécurité routière (Uclir) a même chiffré une reconfiguration des instruments de mesure d’alcoolémie, afin que la marge d’erreur soit automatiquement prise en compte. Coût de l’opération : 2,5 millions d’euros,

Suspension de permis pour alcoolémie : la jurisprudence qui peut tout changer !, Capital, 27 février 2019

Après cette prise de position remarquée du Conseil d’État, la situation est rapidement devenue assez peu lisible et même totalement incompréhensible pour le grand public.

Alors que cette marge devait être systématiquement appliquée par les préfets lors de la prise d’arrêtés de suspension de permis de conduire, l’application de cette même marge d’erreur technique était ultérieurement laissée au bon vouloir des juridictions pénales.

Ces différences de traitement entre les conducteurs devenaient difficiles à justifier. La Cour de cassation est donc intervenue pour mettre fin à cette situation difficilement concevable.

Des marges d’erreur techniques désormais d’application systématique

Le 26 mars 2019, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence remarqué en se prononçant pour une application obligatoire des marges d’erreur technique.

La cour de cassation est alors totalement dans son rôle lorsqu’il s’agit de venir unifier l’application des règles sur le territoire national.

“Avec ce revirement de jurisprudence, la Cour de Cassation prend à bras le corps son rôle d’unificatrice du droit en veillant à ce que les règles s’appliquent de la même façon sur l’ensemble du territoire”, commente Me Le Dall, Président de l’Automobile Club des Avocats. “Et c’est d’ailleurs ce souci d’égalité de traitement qui avait motivé en son temps l’application systématique des marges d’erreur aux radars.”

Alcool au volant : la marge de tolérance peut sauver votre permis, Challenges 28 mars 2019

Dans son arrêt, la Cour de cassation n’hésite pas à porter à la connaissance des lecteurs son raisonnement et explique cette évolution jurisprudentielle par la prise de position du Conseil d’État un an auparavant.

Vu l’article 15 de l’arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres ;

Attendu que la chambre criminelle juge régulièrement que les marges d’erreur prévues par ce texte peuvent s’appliquer à une mesure effectuée lors d’un contrôle d’alcoolémie, mais que l’interprétation des mesures de la concentration d’alcool dans l’air expiré effectuées au moyen d’un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation (Crim., 24 juin 2009, pourvoi n° 09-81.119, Bull. crim. 2009, n° 134) ;

Qu’une diversité d’appréciation entre les juges du fond relativement à la prise en compte ou non de ces marges d’erreur en est résultée, qui n’est pas conforme aux dispositions de l’alinéa 3 du I, de l’article préliminaire du code de procédure pénale, aux termes duquel les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles ;

Que, d’ailleurs, le Conseil d’Etat a récemment jugé qu’il appartient au représentant de l’Etat qui prononce une suspension du permis de conduire en application de l’article L. 224-2 du code de route de s’assurer que les seuils prévus par l’article L. 234-1 du même code ont été effectivement dépassés et par suite de prendre en compte la marge d’erreur maximale tolérée par l’arrêté susvisé (CE, 14 février 2018, n° 407914) ;

Attendu qu’il se déduit en conséquence de l’article 15 de l’arrêté du 8 juillet 2003 précité que le juge, lorsqu’il est saisi d’une infraction pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique, doit vérifier que, dans le procès-verbal qui fonde la poursuite, il a été tenu compte, pour interpréter la mesure du taux d’alcool effectuée au moyen d’un éthylomètre, des marges d’erreur maximales prévues par ce texte ;

Attendu que, pour écarter le moyen tendant à la requalification du délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique en la contravention de l’article R. 234-1, 2°, du code de la route, l’arrêt énonce que l’argument tenant à la marge d’erreur est inopérant, deux taux supérieurs ou égaux à la limite légale ayant été relevés, à quinze minutes d’intervalle, sur un individu ayant reconnu avoir consommé, une heure avant le contrôle routier, deux verres de bière ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que seule ladite contravention pouvait être caractérisée, quel que soit le taux retenu et compte tenu de la marge d’erreur réglementaire de 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D’où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Cass. Crim., 26 mars 2019, n°18-84900

Depuis cet arrêt du 26 mars 2019, l’application de la marge d’erreur est donc systématique et est opérée dès le stade de la mesure par les forces de l’ordre.

Une application des marges d’erreur que le conducteur contrôlé soit en phase ascendante ou descendante

Quelques mois après le revirement de jurisprudence opérée en mars 2019, la chambre criminelle est venue préciser que la marge d’erreur technique devait être appliquée aux deux mesures, aux deux souffles que le conducteur soit en phase ascendante ou descendante

Vu l’article préliminaire du code de procédure pénale :

8. Selon ce texte, toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Le corollaire de ce principe est que le doute doit profiter au prévenu.

9. Il s’en déduit que, lorsque la personne ayant fait l’objet d’une vérification d’alcoolémie est soumise à un second contrôle en application de l’article R.234-4 du code de la route, seul le taux qui lui est le plus favorable doit être retenu et se voir appliquer la marge d’erreur de 8 %.

10. Pour dire établi le délit de conduite en état alcoolique, l’arrêt attaqué énonce qu’il doit être déduit du dernier arrêt de la chambre criminelle du 26 mars 2019 que, alors que le bénéfice de la marge d’erreur était auparavant exclu lorsque le taux d’alcoolémie issu du second contrôle est en phase descendante et constitue donc le taux finalement pris en compte dans la prévention, comme cela est le cas dans la présente procédure puisque le premier contrôle affichait un taux de 0,44 mg/l pour un second contrôle de 0,41 mg/l, la marge d’erreur de 8 % devant désormais être appliquée aboutit encore sur un taux de 0,44mg/l, comme dans la présente procédure, à un taux supérieur à 0,40 mg/l. Le taux de 0,41 mg/l d’air expiré constitue donc bien, en l’espèce, un taux délictuel car seul un taux originaire, lors d’une phase descendante, de 0,4347 mg/l d’air expiré serait constitutif d’une contravention.

11. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

12. La cassation est par conséquent encourue.

Cass. Crim., 14 décembre 2021, n°20-86969 / A lire les commentaires de Me le Dall pour Lexbase : Jean-Baptiste le Dall, [Jurisprudence] Alcool et marges d’erreur : rappel des règles par la Cour de cassation, La lettre juridique, février 2022

Application des marges d’erreur : quelles conséquences ?

L’application de la marge d’erreur technique pourra éventuellement faire passer un conducteur de contrevenant à bon conducteur…

De même, dans certains dossiers, l’application de cette marge d’erreur pourra faire passer le conducteur d’un statut de délinquant à un statut de contrevenant.

Si le tribunal correctionnel peut toujours prononcer, à l’encontre de ce contrevenant, une peine de suspension de permis de conduire, cette condamnation ne sera pas inscrite sur son casier judiciaire. La contraventionnalisation pourra lui éviter une annulation de permis de conduire si l’état de récidive légale avait été retenu dans le cadre des poursuites.

Le passage d’un délit à une simple contravention modifiera également les règles en matière de prescription. À la suite du revirement de jurisprudence opéré en 2019, de nombreuses affaires portées devant les juridictions d’appels ont pu bénéficier de l’application du mécanisme de prescription bien plus court en matière contraventionnelle qu’en matière délictuelle (un an seulement contre six pour les délits).

On pourra donc conseiller aux conducteurs en infraction dont le taux serait proches des seuils prévus par les textes de dégainer la calculette pour vérifier la bonne application des marges… Sait-on jamais…

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